Fort McMurray : « Où est allé tout l’argent que les Canadiens ont donné? »
Tony Aoun vend 30 à 40 pizzas par jour en ce moment à Fort McMurray. C'est pas assez pour survivre.
Photo : Emilio Avalos/Radio-Canada
Prenez note que cet article publié en 2016 pourrait contenir des informations qui ne sont plus à jour.
Imaginez le scénario : vous économisez pendant des années pour acheter un restaurant. Vous devenez propriétaire le 1er mai 2016, deux jours avant l'évacuation massive de Fort McMurray. Six mois plus tard, endetté jusqu'au cou, vous attendez toujours de recevoir plus d'aide de la Croix-Rouge.
Ce scénario, il est bien réel. Il est arrivé à Tony Aoun, un des nombreux entrepreneurs de Fort McMurray qui peinent, à l'heure actuelle, à joindre les deux bouts.
Arrivé dans la ville pétrolière il y a cinq ans pour « faire de l'argent, comme tout le monde ici », Tony Aoun a enchaîné les petits boulots, souvent plusieurs à la fois, dans l'espoir de posséder un jour son propre restaurant.
Le 1er mai 2016, son rêve se concrétise. Il rachète une pizzeria qu'il entend remettre à neuf, avec de nouveaux comptoirs et de nouveaux menus.
Ce jour-là, dit-il, « je me sentais comme un roi. Je faisais enfin ce que je voulais. »
La réjouissance sera de courte durée. Deux jours plus tard, le 3 mai, l'énorme incendie qu'on allait bientôt appeler « la bête » force l'évacuation des 88 000 résidents de Fort McMurray.
Tony Aoun était sur le point de signer son contrat d'assurances, quand l'incendie a ravagé Fort McMurray.
Photo : Emilio Avalos/Radio-Canada
Par chance, le restaurant de Tony Aoun n'a pas brûlé, mais la fumée qui a envahi la ville l'oblige à remplacer tout son stock et une partie de son équipement. Tony estime à au moins 60 000 $ l'argent qu'il a perdu, en dommages matériels et en pertes de revenus.
Son contrat d'assurance n'étant pas encore finalisé, il a dû débourser tous ces montants de sa poche.
Heureusement, il se dit qu'il pourra au moins compter sur la générosité des Canadiens qui ont donné en nombre record à la Croix-Rouge.
Six mois plus tard, Tony Aoun n'a reçu que 1000 $, un montant qu'il juge insuffisant.
À l'heure actuelle, il travaille 7 jours sur 7, plus de 12 heures par jour, pour tenter de garder son commerce à flot.
Mais avec l'arrivée de l'hiver, le secteur de la construction tourne au ralenti et les clients se font rares.
Tony Aoun n'a pas non plus les moyens de faire un coup de publicité pour attirer plus de clients dans sa pizzeria.
Je n'ai plus d'argent dans mon compte de banque. Mes cartes de crédit sont pleines. Je n'ai pas payé ma facture d'électricité depuis des mois. Ma ligne téléphonique vient d'être déconnectée.
La Croix-Rouge dit que plus d'aide s'en vient pour les PME
D'autres commerçants attendent aussi impatiemment l'aide de la Croix-Rouge. Ils se sont plaints récemment de la lenteur des procédures, disant, dans certains cas, qu'ils n'arriveraient pas à survivre s'ils ne recevaient pas rapidement plus d'argent.
Au total, 319 M$ ont été amassés par la Croix-Rouge canadienne pour aider les sinistrés de Fort McMurray, dont 30 M$ pour les petites entreprises.
Au total, pour l'ensemble des fonds récoltés, soit 319M$, 56% ont été alloués jusqu'à maintenant, soit 178M$.La priorité de la Croix-Rouge était d'abord d'aider les familles.
Seuls 20 % des fonds récoltés pour les PME ont été distribués pour l'instant.
Jenn McManus, la vice-présidente de la Croix-Rouge en Alberta, reconnaît que l'aide pour les entreprises a du retard, mais elle explique qu'il fallait s'assurer d'avoir un bon plan en place avant de distribuer les fonds.
Les Canadiens nous ont donné cet argent en s'attendant à ce qu'il soit alloué de façon responsable.
Elle comprend la détresse de certains entrepreneurs, mais ajoute qu'ils peuvent maintenant demander jusqu'à 8000 $ d'aide. Des montants qui devraient être distribués d'ici la fin de décembre.
Le président de la Chambre de commerce de Fort McMurray, Bryce Kumba, croit, pour sa part, que la Croix-Rouge alloue les fonds de manière efficace. Six mois, pour une campagne de cette envergure, « c'est quand même rapide », selon lui.
« La Croix-Rouge devait s'assurer que l'argent allait au bon endroit », ajoute M. Kumba, mais il reconnaît que, pour ces petits entrepreneurs, « n'importe quel délai, c'est trop long ».
« Je me sens prisonnier de Fort McMurray »
Pour l'instant, Tony Aoun dit qu'il n'a même pas le temps de remplir tous les formulaires nécessaires pour obtenir de l'aide de 8000 $. Il n'a pas encore fait la demande en ligne.
« La Croix-Rouge, il faut qu'elle vienne à mon restaurant voir ce qui se passe. Ils vont comprendre. »
Il a songé à tout quitter, mais à 54 ans, il n'a pas le courage de recommencer à zéro. Pour l'instant, il se dit qu'il faut tenir bon, essayer de passer à travers l'hiver, attendre l'aide, et, ensuite, il verra s'il abandonne son rêve d'avoir un restaurant ou non.