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« Nous n’avons pas le droit de dire ce qui est important. Pour eux tout va à la poubelle »

Depuis décembre, les agents municipaux de Victoria ont l’obligation de stocker les biens saisis de personnes sans-abri pendant 14 jours seulement. Des défenseurs et des personnes sans-abri dénoncent une mauvaise gestion et des difficultés à récupérer ces biens.

Tammilyn Cardinal, au square Centennial, à Victoria, le 11 avril 2024.

Tammilyn Cardinal vit dans une tente dans un parc de Victoria et s'est vu confisquer ses biens par des agents municipaux à de multiples reprises.

Photo : Radio-Canada / Mélinda Trochu

Tammilyn Cardinal, au square Centennial, à Victoria, le 11 avril 2024.

Tammilyn Cardinal vit dans une tente dans un parc de Victoria et s'est vu confisquer ses biens par des agents municipaux à de multiples reprises.

Photo : Radio-Canada / Mélinda Trochu

Niki Ottosen fait les cent pas devant le bureau des agents municipaux de la Ville de Victoria, au square Centennial. À nouveau, elle est venue récupérer les biens d’une personne sans-abri à qui des agents ont confisqué les affaires.

La fondatrice du Backpack Project, qui collecte des affaires de première nécessité pour les donner aux personnes sans-abri dans le Grand Victoria, a les droits de la personne gravés dans le cœur, en mémoire d’une de ses tantes qui a vécu dans la rue.

Je suis ici pour récupérer les affaires de quelqu'un qui est sans-abri [et qui] ont récemment été saisies deux fois en deux semaines. [...] Je suis vraiment frustrée par le système [et par] le manque de transparence.

Une citation de Niki Ottosen, militante pour les droits des personnes sans-abri

Venue plus tôt dans la matinée, Niki Ottosen s’est fait demander par les agents de revenir l'après-midi. C'est toujours aussi compliqué. Je pense qu’ils font cela dans l’espoir que les gens abandonnent et [qu’ainsi ils] puissent jeter leurs affaires à la poubelle.

Niki Ottosen au téléphone.

Niki Ottosen, devant le bureau des agents municipaux de la Ville de Victoria, tente de les appeler pour récupérer les biens d'une personne qui vit dans une tente dans un parc.

Photo : Radio-Canada / Mélinda Trochu

À ses côtés, Martin Girard, également militant pour les personnes sans-abri, est venu pour comprendre comment récupérer ces affaires. [Dans] le meilleur des cas, on arrive à récupérer la majeure partie de ce qui est confisqué dans un état potable. [...] Dans le pire, ils perdent absolument tout ou, s’ils récupèrent quoi que ce soit, c'est inutilisable.

Martin Girard qualifie le va-et-vient de la saisie et de la récupération des affaires de cirque. C’est absurde, affirme-t-il.

Niki Ottosen explique que, d’habitude, les agents déposent les biens sur un bout de pelouse entre deux rues du centre-ville. Ce jour-là, en présence de Radio-Canada, ils aident à mettre les objets les plus lourds dans les véhicules. Une première, fait-elle remarquer.

Des agents municipaux avec des sacs poubelles autour de voitures, à Victoria.

Des agents municipaux rendent une partie des effets personnels d'une personne sans-abri qu'ils avaient saisis.

Photo : Radio-Canada

Après un court trajet, les militants sont au parc Victoria West, où ils viennent déposer, sous la pluie, les sacs poubelles récupérés à Tammilyn Cardinal. Celle qui dort dans la rue depuis deux ans, à la suite d’un accident de voiture, ne sort pas de sa tente, car c’est un mauvais jour pour sa santé. Eh! ta batterie de cuisine est de retour, Tammy. Tu vas bien?, lui demande Niki Ottosen.

C'est la deuxième fois qu'on lui confisque ses affaires en deux semaines. Donc, elle se sent vraiment déprimée.

Une citation de Niki Ottosen, militante pour les droits des personnes sans-abri
Niki Ottosen à côté d'une tente et de sacs poubelles.

Niki Ottosen rapporte des effets personnels récupérés auprès des agents municipaux à une personne vivant dans une tente, dans un parc de Victoria.

Photo : Radio-Canada / Mélinda Trochu

La militante fait l’inventaire et regrette que certains articles soient manquants, dont une tente et un matelas tout neufs.

C'est assez courant [car les agents] prennent les affaires neuves et ramènent les poubelles, affirme Niki Ottosen. Au moment où nous récupérons les choses, 50 % d'entre elles ont disparu.

Elle dénonce le fait que les personnes sans-abri ne peuvent pas choisir quelles affaires garder, une fois que les agents municipaux mettent un ruban jaune autour de la tente.

Des personnes autour d'une tente et de sacs de toutes sortes, dans un parc, à Victoria.

Des militants rapportent des biens qui avaient été confisqués par des agents municipaux.

Photo : Radio-Canada / Mélinda Trochu

Un harcèlement dénoncé par des militants

Le 11 avril, des dizaines de personnes se sont rassemblées devant l’hôtel de ville de Victoria pour dénoncer cette situation, et plusieurs ont pris la parole devant le conseil municipal.

Niki Ottosen a demandé la fin du harcèlement ciblé et [du] traumatisme quotidien infligés aux personnes sans-abri. Des membres de notre communauté meurent dans nos rues à cause des déplacements continus et de la saisie de tentes, de nourriture, de couvertures et de biens.

Des personnes devant l'hôtel de ville de Victoria, jeudi 11 avril 2024.

Un rassemblement s'est tenu, jeudi 11 avril 2024, devant l'hôtel de ville de Victoria pour dénoncer « le traumatisme quotidien infligé par les agents municipaux qui, quotidiennement, mettent à la fourrière et détruisent l'équipement de survie et des effets personnels » de personnes sans-abri.

Photo : Radio-Canada / Mélinda Trochu

Tammilyn Cardinal a également pris la parole pendant le conseil municipal, le rassemblement, et en entrevue avec Radio-Canada. Ça me brise le cœur de voir les choses que [les agents municipaux] nous font, la façon dont ils nous traitent, ce qu'ils nous font ressentir.

Elle n’a pas de mots assez durs pour décrire ses interactions avec les agents municipaux cruels et le fait d’être laissée sans couverture, sans tente, rien qui [la] protège.

[Les agents] rient. Ils font des blagues. [...] Ils viennent nous intimider. Parfois, ils nous insultent. [...] C'est destiné à nous briser et à nous donner envie de ne plus être ici.

Une citation de Tammilyn Cardinal, qui vit dans la rue depuis deux ans

La quadragénaire dit avoir fait une tentative de suicide à cause des choses que les agents municipaux ont faites. On nous vole. Nos affaires sont jetées à la poubelle. Tout ce qui signifiait quelque chose pour moi a disparu. Je n'ai plus rien [qui me rappelle mon père, ma mère, mon fils].

Tammilyn Cardinal et Niki Ottosen.

Tammilyn Cardinal s'exprime avec émotion pendant un rassemblement, le 11 avril, devant des dizaines de personnes, à Victoria. À ses côtés, la fondatrice du Backpack Project, Niki Ottosen.

Photo : Radio-Canada

La Ville assure que les agents sont formés correctement

La Ville de Victoria a refusé une entrevue à Radio-Canada. Dans un courriel, elle explique que les biens saisis ne sont pas pesés, mais que la Ville s'est débarrassée d’environ 8,3 tonnes par semaine de matériaux liés à l'itinérance, en 2023, et de 7,25 tonnes en moyenne en 2024.

Les biens sont majoritairement stockés à l'intérieur, avec un espace couvert pour stocker quelques objets humides en espérant que l'air les sèche. La Ville précise que la décision de stocker les biens ou de les envoyer à la poubelle se fait sur le lieu des saisies et que tout finit à la déchetterie Hartland , si les personnes ne viennent pas récupérer leurs affaires.

La Ville dit ne pas avoir de statistiques sur le pourcentage de biens rendus à leurs propriétaires.

La porte du bureau des agents municipaux, au square Centennial, à Victoria.

Le bureau des agents municipaux est situé au square Centennial, où de nombreuses personnes sans-abri se réunissent quotidiennement entre elles.

Photo : Radio-Canada / Mélinda Trochu

Aux allégations de mauvais comportements de la part de certains agents, la Ville répond : Les agents reçoivent une formation régulière et continue [...] en désescalade, en sécurité des agents, en milieu de travail respectueux, en continuum de santé mentale, en premiers soins, en administration de naloxone, en sécurité culturelle et en sensibilisation à la diversité des genres.

En cas de plainte, la personne doit contacter un responsable qui mènera une enquête.

Si une personne n'est pas satisfaite de ce processus, elle peut envisager de contacter le directeur municipal, le maire et le conseil municipal, ou des agences externes telles que l'ombudsman de la Colombie-Britannique.

Une citation de Courriel de la Ville de Victoria

La Ville précise que les agents ont des numéros sur leur insigne à des fins d’identification.

Les personnes sans-abri comptent, et leurs affaires aussi, dit un rapport

Les difficultés à récupérer les affaires des personnes sans-abri ont été étudiées à travers le pays par des chercheurs, qui ont publié un rapport intitulé Belongings Matter (Leurs biens comptent).

Alexandra Flynn, l’une des coauteures et professeure agrégée à la Faculté de droit Allard, de l'Université de la Colombie-Britannique, évoque la menace constante vécue par les personnes sans-abri que leurs affaires soient prises.

Il y a une longue histoire de perte et de vol de leurs biens, et la perte continue de ces biens les fait reculer et non avancer. Cela rend leur vie plus imprévisible et plus dangereuse. [...] Les biens des personnes logées de manière précaire sont considérés comme des déchets.

Une citation de Alexandra Flynn, coauteure d’un rapport sur les biens des personnes sans-abri

Il y a toutes sortes de règlements qui limitent la quantité de choses que les gens peuvent avoir sur le trottoir ou dans les transports en commun, de sorte qu'il n'y a vraiment aucun endroit sûr où les gens peuvent stocker leurs affaires , explique Alexandra Flynn.

Ailleurs sur le web :

À la suite de dizaines d’entrevues avec des personnes sans-abri, Alexandra Flynn conclut qu’il est très difficile de récupérer les biens saisis : Il est presque impossible de retrouver les choses ou d’être rappelé par téléphone.[...] C'est vraiment un problème presque insurmontable.

Nous n'avons pas le droit de dire ce qui est important, pour [les agents] tout va à la poubelle , assure Tammilyn Cardinal.

Alexandra Flynn.

Alexandra Flynn est professeure agrégée à la Faculté de droit Allard de l'Université de la Colombie-Britannique.

Photo : Radio-Canada

Alexandra Flynn confirme que des personnes sans-abri ont signalé des comportements non respectueux de la part d'agents municipaux et expliqué qu'elles voulaient être traitées dignement. Cela semble si simple, c’est une question fondamentale de dignité et d’humanité, mais c’était la première chose que les gens [interrogés] souhaitaient.

La confiscation des biens est un problème, notamment quand il s’agit de pièces d’identité. Cela signifie qu'ils ne peuvent pas facilement accéder aux soins de santé ou à d'autres types d'avantages, explique Alexandra Flynn.

Quand ça disparaît, c'est dévastateur. Différentes organisations à but non lucratif ont créé des banques d'identité pour photocopier les pièces d'identité, afin que, en cas de disparition, les gens puissent y revenir et y accéder plus facilement.

Une citation de Alexandra Flynn, coauteure d’un rapport sur les biens des personnes sans-abri

Tammilyn Cardinal le confirme. Nous n'avons nulle part où mettre nos affaires. [...] Nous ne pouvons pas obtenir [un lieu de] stockage, parce que la plupart d'entre nous n'ont pas de pièce d'identité à cause des agents qui jettent nos pièces d'identité.

Alexandra Flynn précise que, le plus souvent, les objets personnels dont il est question sont des souvenirs. Les vêtements de leurs enfants, les cendres ou les photographies de leur mère, ce genre de choses.

Presque aucune des personnes [que nous avons interrogées] n’avait encore ces affaires. [...] Le fait de perdre le lien avec son passé et avec qui on est en tant qu'être humain, pour des personnes qui sont déjà, assez souvent, déshumanisées par le système, c'est vraiment dévastateur.

À chaque prise de parole, Tammilyn Cardinal se remémore un souvenir, un objet en forme de grenouille que son père, aujourd’hui décédé, lui avait offert.

Qu'est-ce que je vais faire? Appeler mon père au paradis et lui dire : ‘’Eh papa, les agents municipaux ont jeté la grenouille que tu m'as donnée, peux-tu la remplacer?’’ Non, ça ne marche pas comme ça, dit-elle d'une voix faible, les larmes aux yeux.

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