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ChroniqueLes vertus du tunnel Québec-Lévis au fil du temps, selon ses partisans

Le projet de tunnel Lennut entre Québec et Lévis a fait l'objet d'études soutenues dans les années 1960.

Le projet de tunnel Lennut a été soutenu par la Ville de Québec durant les années 1960.

Photo : Radio-Canada / Archives de la Ville de Québec

Une voie plus sécuritaire que le pont de Québec, une façon d’éviter un détour inutile, et même… un abri antinucléaire! Les arguments des promoteurs d’un tunnel Québec-Lévis n’ont pas manqué au fil du temps. Si certains font sourire, d’autres pourraient bien vous surprendre.

Boucler la boucle du transport terrestre, à l’est de Montréal

Imaginez un instant si aujourd’hui, presque toute la circulation du pays, incluant les trains, les camions et des millions de voitures, filait de la côte est à la côte ouest sur la Rive-Sud, sans jamais passer par Québec.

Ça vous donne une idée de la situation qui prévalait dans la région, au 19e siècle, quand les trains canadiens et américains qui circulaient sur la Rive-Sud pouvaient traverser le fleuve pour se rendre à Montréal grâce au pont Victoria, mais pas à Québec.

Des trains circulant sur la Rive-Sud avec Québec au loin, en 1889.

Des trains circulant sur la Rive-Sud avec Québec au loin, en 1889

Photo : BAnQ / Notman and son

Tout sur le 3e lien Québec-Lévis

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La ville de Québec vue d'un paquebot sur le Saint-Laurent.

La boucle du réseau de transport terrestre canadien, alors dominée par le chemin de fer, mettra un temps fou à connecter les deux rives à l’est de la métropole. Il faudra attendre l’inauguration du pont de Québec, en 1917, alors que le pont Victoria a été inauguré… en 1860.

C’est dans ce contexte qu'est né le rêve du tunnel Québec-Lévis, en 1862.

Enrichir la région en faisant preuve de modernisme

Le but poursuivi par les partisans de ce tunnel tenait en quelques mots : assurer la prospérité des deux villes en les reliant l’une à l’autre.

L’idée de le faire grâce à un tunnel plutôt qu'un pont avait alors le mérite d’être visionnaire. Trop, sans doute. En 1862, la technologie n’était pas encore au point. Sa construction à cette époque en aurait d’ailleurs fait le premier tunnel sous-fluvial de toute l’Amérique du Nord, 30 ans avant le tunnel St.Clair, en Ontario.

C’est pourquoi tout le monde s’est d’abord entendu pour construire un pont afin de relier les deux rives, ce qui n’a pas mis fin au rêve de tunnel pour autant.

Éviter les dangers d’un pont

Une fois les travaux du pont démarrés, en 1900, après des années de débats stériles – il faudra toute la volonté du premier ministre Wilfrid Laurier pour lancer le projet –, l’allongement de sa portée libre, de 1600 à 1800 pieds (de 490 à 550 mètres), aura des conséquences funestes. Apparemment, quelqu’un n’avait pas fait ses devoirs.

Un fouillis de métal entre les piliers du pont et le fleuve permet de mesurer l'ampleur du désastre.

L'effondrement du pont de Québec, en 1907

Photo : BAnQ / Carte postale

L’effondrement catastrophique de la structure, qui fait 76 morts en 1907, entraîne une volte-face complète des compagnies de chemin de fer. En 1910, elles sont unanimes à réclamer la construction d’un tunnel plutôt qu’un pont afin de relier les centres-villes de Québec et de Lévis. Certaines disent même avoir des rapports étoffés pour appuyer leur demande.

En quelques décennies, la technologie avait beaucoup évolué. Il s’était construit huit tunnels sous-marins reliant New York et Brooklyn, et deux autres reliant Détroit et Windsor.

Section du tunnel ferroviaire construit pour relier Détroit et Windsor, en 1910.

Section du tunnel ferroviaire construit pour relier Détroit et Windsor, en 1910.

Photo : Bibliothèque du Congrès / Congress library

Mais derrière les portes closes, l’idée du tunnel Québec-Lévis est apparemment passée à la trappe. On craignait que les coûts soient bien plus élevés que les compagnies ferroviaires semblaient le croire. Malgré l’effondrement de sa travée centrale, qui allait faire 13 nouvelles victimes en 1916, le pont de Québec est inauguré pour de bon en 1917.

Éviter un long détour… sans défigurer Québec

Un Québec aux allures de carte postale, durant la nuit.

Un Québec aux allures de carte postale, durant la nuit

Photo : Archives de la Ville de Québec / Tous droits réservés

Après une éclipse de plusieurs décennies, le souhait d'un tunnel Québec-Lévis effectue son grand retour en 1947.

Entretemps, on a eu le temps de passer de l’ère du train à celle de l’automobile. Depuis 1929, les voitures peuvent circuler sur le pont. Le hic, c’est que la circulation est plutôt concentrée à Québec et à Lévis, ce qui entraîne, pour les automobilistes, un détour de plusieurs dizaines de kilomètres afin de faire la navette entre les deux villes.

À la fin des années 1940, les traversiers, seuls à assurer un lien direct de centre-ville à centre-ville, sont complètement débordés.

À partir de là, presque tout le monde, de la population aux députés de la région, se met à réclamer, à nouveau, un tunnel sous-fluvial. Et pourquoi pas un pont? Parce qu’un tunnel aurait le grand avantage de ne pas détruire le cachet panoramique de Québec. Un argument qui tient d’ailleurs toujours la route, 80 ans plus tard.

Épargner de l’argent

Le pont de Québec après son inauguration.

Le pont de Québec, alors qu'il était le seul lien terrestre entre les deux rives.

Photo : BAnQ / Fonds La Presse

Dans les années 1940, le tunnel Québec-Lévis paraît indispensable, et on le présente aussi comme une façon économique de relier les deux villes. Plus qu’un pont.

Plusieurs journaux citent des ingénieurs. Creuser à 200 pieds sous le niveau du fleuve? Aucun problème. Un dénivelé de 400 pieds pour passer d’une rive à l’autre? Un jeu d’enfant pour les voitures du temps – ce qui n’aurait sûrement pas été le cas pour les chevaux si on l’avait construit au 19e siècle.

En mai, la commission d’urbanisme de Lévis donne son approbation à un projet de tunnel. Selon les ingénieurs sondés, il coûterait deux fois moins cher qu’un pont.

Selon ce que rapporte le journal L’Action catholique, P.-A. Villeneuve, un ingénieur civil de Montréal, prépare alors les plans d’un tunnel à deux voies de 90 pieds de large sur 20 pieds de haut (27 mètres sur 6 mètres). Il évalue son projet à… 7 millions de dollars.

Plutôt 10 millions, avance un autre journal, L’Union des Cantons de l’Est.

Adélard Bégin, maire de Lévis, le plus ardent promoteur du projet, reproche alors au maire de Québec de se tourner les pouces. Ce qui ne tarde pas à changer.

Profiter d’un projet à coût nul

Wilfrid Hamel et son équipe, en 1950.

Wilfrid Hamel avec des collègues de l'Union des municipalités du Québec, en 1950

Photo : BAnQ / Fonds La Presse / D2500

En 1954, coup de théâtre. Le maire de Québec, Wilfrid Hamel, signe une entente pour son propre projet : le tunnel Champlain. On parle de le faire déboucher au pied de la côte du Palais, près de la gare de train de Québec.

Selon lui, la Ville n’aurait pas un sou à mettre dans l’aventure. Des hommes d’affaires de New York et du Connecticut proposent d’avancer tout le capital nécessaire à la réalisation du projet, évalué à quelque 30 millions de dollars. On dit même que l’opération pourrait se faire à coût nul. Comment?

Par la magie du péage!

De son côté, le maire de Lévis n’y croit guère. Il se méfie ouvertement des promoteurs américains. C’est donc le maire de Saint-David, la municipalité voisine, qui se lance dans l’aventure.

Le moins qu’on puisse dire, c’est que les promoteurs ne manquent pas d’aplomb. En plus de se réserver un droit de péage, ils demandent au gouvernement d’empêcher la construction de tout pont ou tunnel dans le secteur durant 25 ans. Ils réclament aussi des droits exclusifs sur une partie des berges. Tout ça alors qu’ils n’ont pas encore mis un dollar sur la table.

Le premier ministre, Maurice Duplessis, n’en croit pas ses oreilles. Vous venez ici avec un projet incomplet, sans garantie financière. Pourquoi ne revenez-vous pas plus tard avec un projet plus réaliste? déclare-t-il à la volée, à l’issue d’une rencontre orageuse.

Une nouvelle entente, pilotée par l’un des acteurs québécois du projet, sera signée avec la Ville en 1960. Le projet Lennut – le mot tunnel à l’envers – a fait parler de lui jusqu’à ce que la Lennut Canada Ltée, découragée, finisse par mettre la clé sous la porte en 1969.

Éviter l’étalement urbain

Le pont Pierre-Laporte en construction durant l'hiver, à la fin des années 1960. Le secteur tout autour demeure encore peu densifié.

Le pont Pierre-Laporte en construction, à la fin des années 1960, alors que le gros de la concentration urbaine se trouvait 10 kilomètres à l'est.

Photo : Archives de la Ville de Québec / Tous droits réservés

On n’y pense pas aujourd’hui, mais la construction du pont de Québec, à 10 kilomètres à l’ouest de Québec et de Lévis, a contribué au phénomène de l’étalement urbain dans la région. Un problème qui s’est amplifié quand on a choisi de construire le pont Pierre-Laporte juste à côté, à la fin des années 1960.

Ce choix avait l’avantage de coûter moins cher qu’une connexion en plein cœur de Québec, mais il a contribué à accélérer le développement des municipalités situées aux alentours, à commencer par Sainte-Foy, Charny et Saint-Nicolas, mais aussi Cap-Rouge.

Les partisans d’un lien direct Québec-Lévis, au premier chef les chambres de commerce de Québec et de Lévis, espéraient relancer la densification des pôles existants situés à l’est des ponts, dans les années 1960 et 1970, particulièrement sur la Rive-Sud.

Il est intéressant de voir que, 50 ans plus tard, ce sont les opposants au tunnel Québec-Lévis qui craignent qu’il contribue à l’étalement urbain, cette fois dans toutes les directions… sauf à l’ouest.

Profiter d’un abri antinucléaire

Explosion atomique sur l'atoll de Bikini, en 1946.

Explosion atomique sur l'atoll de Bikini, en 1946

Photo : Bibliothèque du Congrès / Congress library

En 1961, en pleine guerre froide, le Conseil central de Québec, un regroupement de syndiqués québécois, s’était mis en tête de réclamer plusieurs abris contre les attaques nucléaires au gouvernement.

Parmi ses résolutions, la centrale avait suggéré au gouvernement du Québec et au fédéral de collaborer pour construire un tunnel sous le fleuve entre Québec et Lévis, en faisant remarquer qu’en plus d’atténuer le chômage et d’améliorer les communications entre les deux villes, ce tunnel pourrait servir d’abri à la population en cas d’attaque aérienne.

L’idée peut paraître farfelue aujourd’hui, mais elle semble aussi avoir été évoquée pour le tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine, à la même époque.

Résoudre un vieux problème

Deux des zones envisagées pour la construction d'un tunnel dans un rapport du ministère des Transports, en 1975.

Deux des zones envisagées pour la construction d'un tunnel dans un rapport du ministère des Transports, en 1975.

Photo : Ministère des Transports / Étude

En un peu plus d’un siècle, de nombreux ingénieurs ont planché sur un tunnel Québec-Lévis. En plus d’y voir une infrastructure utile, ils y voyaient un beau problème à résoudre.

En 1962, la Foundation of Canada Engineering Corporation Limited (FENCO), une firme d’ingénieurs de Montréal, prépare un rapport sur trois projets destinés à améliorer la circulation entre Québec et Lévis, parmi lesquels un pont-tunnel passant sous les Plaines et débouchant sur les rues de la Couronne et Dorchester.

FENCO préconisait aussi de porter la capacité du pont de Québec à huit voies plutôt que deux, grâce à des ajouts appropriés.

En 1967, Henri-François Gautrin, président du groupe Janin Construction, une autre firme de Montréal, propose aussi un tunnel Québec-Lévis débouchant sur les rues de la Couronne et Dorchester. À Lévis, la sortie se trouve sur la rue Saint-Joseph. Le projet est évalué à 54 millions de dollars.

Un dessin professionnel et épuré montre un tunnel sous-fluvial faisant le lien entre Québec et Lévis dans les années 1960.

Le projet de tunnel a fait l'objet d'un article élaboré dans la revue «L'Ingénieur», en 1967.

Photo : BAnQ / L'ingénieur

C’est à cette firme qu’on doit les câbles porteurs et les travées suspendues du pont Pierre-Laporte, dont la construction s’entame à la même époque.

Une autre étude célèbre? Le rapport Vandry-Jobin. En 1968, il s’intéresse à la connexion entre les deux rives. Vu le défi de construire un tunnel reliant le centre-ville de Québec, il suggère un pont-tunnel situé plus à l’est, à la hauteur de Lauzon et des battures de Beauport.

Il semble qu’un tunnel débouchant dans le centre-ville de Québec était déjà un casse-tête à l’époque. À la fin de son dernier mandat, le maire Wilfrid Hamel pensait d’ailleurs qu’il s’agissait du principal argument jouant contre le projet.

Le pont-tunnel suggéré par le rapport Vandry-Jobin, dans une perspective montrant Québec en 1990.

Le pont-tunnel suggéré par le rapport Vandry-Jobin, dans une perspective montrant Québec en 1990.

Photo : Rapport Vandry-Jobin

L’important dans la construction d’un tunnel n’est pas le coût du tunnel lui-même, mais celui des voies d’accès, qui sera au moins égal à celui du tunnel, déclarait-il aux journalistes en 1965, après des années de vaines représentations devant le gouvernement provincial.

À tous ceux qui rêvaient encore d’un lien direct entre les deux villes, son message avait été clair : misez plutôt sur les bateaux de la traverse Québec-Lévis. Si vous espérez un tunnel, préparez-vous à attendre longtemps.

Sources :

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